Ma part d’autrice, Corinne Klomp
Il y a deux ans, quand je tentais d’écrire autrice sur mon clavier, Word me proposait sur l’écran : autruche, Autriche, actrice. J’insistais...
publiée le 20.10.2020Ma-part-dautrice-C.-Klomp.pdf
Ma part d’autrice
Longtemps je me suis appelée auteure, avec un e. Je voulais revendiquer mon métier au féminin, je trouvais qu’auteure sonnait bien. Et pour cause puisqu’à l’oral, e muet oblige, il ne sonne pas. Il n’écorche pas les oreilles. C’est un féminin discret, en retrait, de bon goût. A l’écrit, certes, il se voit. Un peu. Je n’étais pas 100% convaincue, mais bon. J’entendais quelques consœurs se qualifier d’autrices, je trouvais ça… moche.
J’avais raison, c’est moche. Mais je sais pourquoi : parce que depuis ma plus tendre enfance je n’ai pas été bercée par ce mot. Mes oreilles n’y sont pas habituées, encore que, il me semble qu’elles sont en progrès. En revanche, actrice, directrice, institutrice, traductrice, rédactrice, interlocutrice, instigatrice, créatrice, éditrice, spectatrice, réalisatrice, productrice et j’en passe, tous ces noms ne me choquent pas à l’oral. Je suis née avec eux. De même, lorsque l’on parle d’une écrivaine, beaucoup disent entendre principalement l’adjectif vaine. Exact. Mais il est aussi présent dans écrivain. Or dans écrivain, on ne l’entend pas. Enfin si, mais pas indépendamment du nom lui-même, il ne ressort pas. Simplement parce que depuis toujours le métier d’écrivain nous est familier, du moins à l’oreille. Ce qui n’est pas encore le cas de celui d’écrivaine.
En clair, c’est une question d’accoutumance. Les enfants qui naissent aujourd’hui n’auront aucun problème demain à évoquer les écrivaines et les autrices, comme ceux d’hier ne grimacent pas en prononçant les termes d’actrices, d’administratrices, ou d’impératrice.
Parlons maintenant du fond. Lorsque j’ai découvert les travaux d’Aurore Evain sur le sujet, j’ai basculé, sans hésiter, en faveur du mot autrice. Car il n’est pas un néologisme, encore moins une invention barbare émanant du cerveau malade d’une poignée de féministes du XXIème siècle. Il existait avant. Dès l’Antiquité. Je saute quelques pans d’histoire mais il est intéressant de savoir qu’en France, sous l’Ancien Régime, il y a 150 autrices, dont 17 au répertoire de la Comédie Française. Sur le registre de Lagrange, comédien de Molière, est inscrite la part d’auteur pour les hommes, et la part d’autrice pour les femmes.
C’est au XVIIème puis au XVIIIème siècle que le ciel s’assombrit. L’Académie française, menée par des hommes qui se réservent le prestige de certaines fonctions, déclare la guerre au mot autrice, l’accusant de déchirer absolument les oreilles. Le vrai problème réside ailleurs. Le XVIIème marque la naissance de l’auteur, l’institutionnalisation de la fonction qui revêt un sens plus fort, valorisant socialement. Il est donc temps de bannir le mot autrice, moins pour censurer le féminin d’un nom que pour brocarder la femme qui écrit. La preuve ? A cette même époque le terme acteur possède un sens plus étendu, allant jusqu’à signifier écrivain. Dès qu’il est réduit au sens actuel de comédien, on invente le mot actrice, qui n’existait pas auparavant. Curieusement, la même Académie Française ne se plaint pas d’avoir les tympans déchirés par cette nouvelle sonorité, pourtant si proche de celle d’autrice. En clair, une femme peut interpréter la partition d’un homme et diffuser sa pensée, mais elle ne saurait être à l’origine de sa propre parole. Le langage est politique, ne l’oublions pas.
Il y a deux ans, quand je tentais d’écrire autrice sur mon clavier, Word me proposait sur l’écran : autruche, Autriche, actrice. J’insistais. Word finissait par céder et me laissait mon autrice, mais attention, soulignée de rouge, pour insister sur ma faute, mon côté mauvaise élève, mal éduquée. Aujourd’hui j’écris ce billet et le mot autrice n’est ni remplacé, ni souligné de rouge. Si un logiciel de traitement de texte a su évoluer et enterrer la hache de guerre, pourquoi pas nous ?
Corinne Klomp